Nous distinguerons :
- les travaux relatifs au développement des modèles pluie-débit aux pas de temps annuel et mensuel
- les travaux relatifs au développement des modèles pluie-débit au pas de temps journalier et horaire,
- les travaux ciblés vers la prévision des débits,
- les travaux réalisés en privilégiant la prise en compte de l’humidité du sol sur le bassin versant,
- les travaux orientés vers la modélisation des flux de matières (nitrates et matières en suspension).
N.B. : L’historique présenté est non-exhaustif. Par souci de concision, nous n’avons pas détaillé les différences mathématiques exactes entre les modèles. Celles-ci pourront être trouvées dans les références fournies. L’essentiel des travaux mentionnés ont été réalisés à INRAE Centre d’Antony, mais nous évoquons également les travaux d’autres équipes ayant contribué au développement des modèles GR.
1. Modèles au pas de temps mensuel et annuel
Des premiers essais de modélisation à pas de temps mensuel avec un modèle pluie-débit simple avaient été effectués par Rifaat (1980) sur le bassin de l’Orgeval. Par la suite, Kabouya (1990) a mis au point un modèle mensuel GR3M, à trois paramètres, pour l’appliquer à des problèmes d’évaluation de la ressource en eau en Algérie septentrionale (Kabouya et Michel, 1991). Makhlouf (1994) a également travaillé sur un modèle mensuel en proposant une version à deux paramètres (Makhlouf et Michel, 1994), qui a par la suite été améliorée par Mouelhi (2003).
Au pas de temps annuel, les travaux de Bouabdallah ont permis de jeter les premières bases d’un modèle pluie-débit annuel, avec deux versions, à un paramètre (GR1A) et deux paramètres (GR2A).
Par la suite, Mouelhi (2003) a repris la chaîne de modélisation à pas de temps mensuel, annuel et pluriannuel, en essayant d’identifier l’adaptation des structures des modèles au pas de temps de fonctionnement, et en recherchant les cohérences de structures entre ces différents pas de temps. Il a ainsi pu proposer un modèle mensuel (GR2M) à deux paramètres (Mouelhi et al., 2006a), un modèle annuel (GR1A) à un paramètre (Mouelhi et al., 2006b) et un modèle interannuel sans paramètres à caler.
2. Modèles au pas de temps journalier et horaire
Au début des années 80, Claude Michel (1983) a engagé à INRAE (à l’époque, Cemagref) une réflexion sur la modélisation pluie-débit à partir du modèle CREC, un modèle à neuf paramètres développé au Laboratoire d’Hydrologie de l’Université de Montpellier (Cormary et Guilbot, 1973). Partant de cette structure, des simplifications ont été faites, dans le but d’obtenir un modèle à peu de paramètres, sans amoindrir les performances du modèle initial en terme de simulation des débits. Une structure simple à deux réservoirs a ainsi été proposée et appliquée au bassin versant de l’Orgeval (Michel, 1983). Ce premier modèle était un modèle à deux paramètres, GR2, avec un paramètre pour chaque capacité de ses deux réservoirs.
Utilisé par Loumagne (1988) et Devred (1989), ce modèle a ensuite été repris par Edijatno (1987, 1991) qui, par une démarche résolument empirique, a amélioré sa structure en modifiant notamment la fonction de production et en ajoutant un troisième paramètre, une constante de temps d’un hydrogramme unitaire. Le nouveau modèle journalier GR3 (Edijatno et Michel, 1989) fut testé sur un échantillon de 110 bassins versants français et donna des résultats satisfaisants en comparaison avec quelques modèles plus complexes. Des relations sommaires entre descripteurs climatiques du bassin et valeurs des paramètres du modèle ont aussi pu être établies.
Dans une perspective de constante amélioration de cette structure, Nascimento (1991, 1995) a isolé des bassins intermittents, pour lesquels le modèle avait du mal à fournir des résultats corrects, et a introduit dans le modèle un quatrième paramètre gouvernant des échanges ‘souterrains’ pour répondre aux exigences de bonne reproduction des débits. Le nouveau modèle GR4 a fourni sur un échantillon de 120 bassins de meilleures performances que la version antérieure à trois paramètres. Parallèlement aux travaux de Nascimento (1995), Makhlouf (1994) a mené des recherches avec le modèle GR4J sur des bassins de Moselle et de Bretagne. Quelques pistes pour le traitement de la neige sur les bassins de la Moselle ont été évoquées.
Plus récemment, Edijatno et al. (1999) ont proposé une nouvelle version à trois paramètres du modèle journalier. Cette version, dans laquelle la capacité du réservoir de production est fixe, est très similaire à la version proposée par Nascimento (1995) avec des fonctions de production et d’échange légèrement modifiées. Perrin (2000) et Perrin et al. (2003) ont proposé une version améliorée de ce modèle journalier, le modèle GR4J, comportant quatre paramètres et permettant notamment d’améliorer la simulation des étiages avec l’introduction d’une percolation issue du réservoir de production du modèle. Cette version a été reprise par Mathevet (2005) qui a proposé une simplification du routage, puis par Le Moine (2008) qui a introduit une version à cinq paramètres (GR5J) avec une fonction d’échange en eau améliorée (permettant d’inverser le signe des échanges au cours de l’année). Plus récemment, Pushpalatha (2013) a proposé l’introduction d’un second réservoir de routage qui permet une meilleure simulation des étiages, conduisant à une version à six paramètres (GR6J).
Des travaux plus récents ont introduit un module de neige robuste pour alimenter les modèles GR (CemaNeige; Valery, 2010) et ont étudié l’apport d’une version semi-distribuée des modèles (Lerat, 2009 et Lobligeois, 2014).
3. Modèles de prévision
Un autre volet de la recherche sur la modélisation pluie-débit porte sur le problème plus spécifique de la prévision des débits, pour les applications en prévisions de crue ou d’étiage.
Les premiers travaux ont été menés par Yang (1993) qui, utilisant le modèle GR3 d’Edijatno (1991) à un pas de temps fin, a mis au point une méthode de prévision des crues avec mise à jour des paramètres du modèle.
Les travaux ont été repris par Tangara (2005) qui a proposé une méthode plus simple, basée sur une version simplifiée de GR4J, permettant une mise à jour directe de l’état du réservoir de routage du modèle journalier.
L’assimilation des données de débits en temps réel pour la prévision de crues au pas de temps horaire a été l’objet des recherches de Berthet (2010), qui a étudié plusieurs méthodes d’assimilation de données et a proposé des orientations pour leur utilisation en temps réel.
Parallèlement aux travaux réalisés par l’équipe Hydrologie à INRAE à Antony, d’importants travaux ont été menés à INRAE à Aix-en-Provence pour le développement d’une version horaire événementielle du modèle GR3, focalisant la prévision des débits en zone méditerranéenne pour l’alerte aux crues rapides et sur les bassins versants peu ou non-jaugés.
Enfin, les travaux de Bentura (1996) portant sur la propagation des crues (Bentura et Michel, 1997) doivent également être cités. Cette recherche n’est pas directement liée au développement des modèles GR mais elle a permis de montrer que le routage utilisé dans GR3 permettait d’approcher de façon satisfaisante les résultats de propagation obtenus à partir des équations de Barré-Saint-Venant.
Les modèles hydrologiques développés à INRAE, par leur simplicité, se prêtent bien à une utilisation opérationnelle. Les démarches de développement entreprises se sont ainsi attachées à mettre en place des systèmes de prévision des crues basés sur des modèles pluie-débit fonctionnant en continu. Les bassins de l’Oise, de l’Aisne, de la Sarthe et de l’Huisne, ont fait l’objet des premières études visant à mettre au point des dispositifs de prévision de crue en temps réel. Le logiciel HYDROMATH a ainsi été développé en partenariat avec le bureau d’étude SAFEGE. Aujourd’hui, le modèle horaire GRP, développé en collaboration avec le service national SCHAPI, équipe un grand nombre de services de prévision des crues (SPC) en France.
Le modèle GRP, dans sa version journalière ou horaire, est au cœur de plusieurs travaux de recherche qui s’intéressent à améliorer :
- la mise à jour du système pour mieux appréhender les conditions initiales des bassins versants avant le lancement des prévisions en temps réel,
- l’alerte précoce aux crues et inondations pour la mise en sécurité des personnes et des biens,
- la prévision des apports en eaux aux réservoirs pour la gestion et la prise de décision,
- la prévision des crues nivales,
- la quantification des incertitudes de prévision.
Alors que la prévision des crues porte sur de courtes échéances (quelques heures à quelques jours), la prévision des étiages est réalisée avec des échéances de plusieurs semaines à plusieurs mois. La prévision probabiliste est d’autant plus pertinente dans ce contexte. La modélisation des débits d’étiage et leur prévision est l’un des sujets actuels de recherche de l’équipe Hydrologie de INRAE à Antony.
4. La prise en compte de l’humidité du sol sur le bassin versant
Les travaux dans ce domaine ont été réalisés sous l’impulsion de Cécile Loumagne et Michel Normand au Cemagref d’Antony, en collaboration avec le Centre d’Etudes Terrestres et Planétaires (CETP) de Vélizy. Les bassins versants de l’Orgeval et du Naizin ont été des supports d’observation privilégiés dans le développement des modèles.
Partant de la structure simple à deux paramètres proposée par Michel (1983), les recherches de Loumagne (1988) ont porté sur l’utilisation de données d’humidité du sol pour la modélisation pluie-débit. En se basant sur des observations révélant l’importance de l’état hydrique superficiel du bassin dans la production des débits, le but de ce travail était de substituer, au réservoir représentant conceptuellement le sol, les données d’humidité mesurées.
Cette approche a fourni des résultats prometteurs et a donc été approfondie, tout d’abord par Chkir (1996), qui a proposé le modèle GRHUM issu de la modification du modèle GR4 : le réservoir de production a été modifié pour obtenir un réservoir bicouche avec utilisation du schéma de Deardoff, la couche supérieure étant destinée à pouvoir simuler l’état d’humidité de surface du bassin versant. Ce modèle peut être utilisé soit en simulation, soit en assimilation avec utilisation de données de terrain.
Cette méthodologie a été ensuite reprise par Cognard-Plancq (1996) en collaboration avec le CETP avec l’utilisation de données de télédétection qui, après traitement, permettent d’obtenir un indice global d’humidité du bassin pouvant être utilisé par le modèle (Loumagne et al., 1996).
Le projet européen Aimwater (Loumagne et al., 2002) a également permis d’analyser l’intérêt de données d’humidité du sol issues d’imagerie radar pour améliorer la modélisation pluie-débit dans une perspective de prévision des crues. Des techniques de traitement des images (Quesney, 1999, Le Hegarat-Mascle et al., 2000, Quesney et al., 2000) et des méthodes d’assimilation des données d’humidité ont pu être développées (Aubert et al., 2003, Weisse et al., 2002, 2003), en lien avec les travaux antérieurs de Yang (1993) sur la prévision des crues.
5. La modélisation des flux de matières : transferts de polluants et matières en suspension
Sous l’impulsion de Thierry Leviandier, des travaux de recherche ont également été orientés vers la modélisation de transferts de polluants et de matières en suspension (MES) à l’aide des modèles GR.
Afin de modéliser des pollutions agricoles diffuses par les nitrates, Ma (1991) a utilisé les résultats du travail d’Edijatno et Michel (1989) sur le modèle GR3 et a ajouté un troisième réservoir à la structure de ce modèle, destiné à « router » des percolations provenant du réservoir sol, ceci pour améliorer la simulation des étiages et permettre le couplage à un modèle de production et de transfert de nitrates. Il a ainsi développé un modèle journalier à 5 paramètres (GR5). L’application sur le bassin de Mélarchez (Orgeval) a fourni de bons résultats, mais la modélisation s’est révélée plus difficile sur les bassins plus grands . Ce sont les travaux de Mantilla Morales (1995) qui ont permis d’améliorer ces résultats, en utilisant le modèle GR5 pour la simulation du transfert des nitrates dans un cas d’application sur le bassin de la Charente.
Participant à des travaux engagés par Leviandier (1993) dans le cadre du programme de recherche pluri-disciplinaire Piren-Seine, Gafrej (1993) s’est intéressé à la modélisation du transfert des matières en suspension (MES) sur le bassin de la Marne, utilisant des résultats sur les invariances d’échelles dans les transferts hydrologiques sur le bassin versant. A la suite de ces travaux, Kribèche (1999) a approfondi l’utilisation du modèle MHR couplé à un modèle de MES dans le cas de l’estimation du flux de matières en suspension. La prise en compte des variabilités spatiales a permis un début d’explication des paramètres du modèle en fonction des caractéristiques physiques du bassin étudié.
La prise en compte de l’hétérogénéité spatiale des bassins sera renforcée dans l’approche développée par Zermani (1998) et Leviandier et al. (1994) pour la simulation du transfert de nitrates. L’utilisation d’un SIG a permis la mise en relation des paramètres des modèles conceptuels avec les principales caractéristiques physiques des bassins. Ce travail a permis de mieux tester l’approche de changement d’échelle avec le modèle MHR, qui fournit une solution conceptuelle de la prise en compte de la variabilité spatiale.
The family of the GR hydrological models – Interview with Charles Perrin and Vazken Andréassian